Ce 18 juin 2015, quinze mois jour pour jour après la première table ronde consacrée à l’élaboration d’un Bassin Versant Solidaire à Forest, a eu lieu une deuxième réunion marquant la création officielle de ce dispositif. L’occasion de revenir sur ce que cette appellation recouvre, ce qui a été réalisé durant ces quinze mois et permet aujourd’hui cette naissance, sur les aspects éventuellement douloureux de celle-ci. L’occasion enfin d’inscrire cette démarche sur la carte des grands mouvements globaux.
Un bassin versant est un territoire dont les écoulements d’eau peuvent être traités localement, en commun. La forte déclivité de la Commune de Forest induit naturellement un tel bassin versant, le ruissellement des eaux se dirigeant naturellement vers le fond de vallée, ses zones inondées et, finalement, la Senne. Solidaire, le bassin versant l’est à plusieurs titres :
- Entre habitants et « occupants » des sols : entreprises, promoteurs immobiliers, pouvoirs publics, par exemple en tant que propriétaires des parcs forestois ;
- Entre « intervenants », tous ceux qui ont un intérêt, une action, une idée concernant les aménagements de ces sols qui ont un impact sur l’eau : opérateurs publics intercommunaux (Vivaqua, Hydrobru, SBGE), régional (Bruxelles Environnement), communal (la Commune de Forest), associatif (les Etats Généraux de l’Eau à Bruxelles, EGEB), citoyens organisés (divers comités de quartier) ;
- Entre tous les habitants, qu’ils subissent les conséquences des inondations ou pas.
En résumé, un bassin versant solidaire, ce sont un territoire et des intervenants agissant selon leurs spécificités et points de vue, dans une optique de solidarité.
La notion de « solidarité de bassin versant » est une création des Etats Généraux de l’Eau à Bruxelles. Si j’ai insisté et me suis battu pour qu’elle s’implante au premier chef à Forest, c’est parce que le terrain y était particulièrement fertile. Des comités d’habitants se sont constitués de longue date suite aux inondations récurrentes. La Commune de Forest, et en particulier l’échevine Annie Richard et Eric Mannès, responsable du service des travaux, ont mis sur pied une coordination des « acteurs de l’eau », de façon à rendre plus efficaces et pertinentes les interventions d’entretien sur les réseaux d’écoulement, qu’ils soient naturels ou pas. Enfin, outre sa déclivité, Forest dispose d’un réseau dense de petits cours d’eaux, enfouis ou toujours actifs, qui suscitent l’intérêt de nombreux chercheurs amateurs ou professionnels, qui ne demandaient qu’à être fédérés.
Concrètement, la dynamique de solidarité de bassin versant a permis de créer une structure de fonctionnement entre intervenants associatifs, citoyens et communaux, structure permettant de nourrir en réflexions et propositions les structures institutionnelles intervenant sur les infrastructures (Hydrobru, Vivaqua, SBGE) ou liées (Bruxelles-Environnement, Beliris, Monuments et Sites).
Elle a permis également d’intégrer pleinement la question de l’eau dans le contrat de quartier durable Abbaye : un « parcours de l’eau » y sera étudié, dans le but de créer une nouvelle rivière urbaine abreuvant la place Saint Denis, des opérations de récupération de l’eau seront mises en place avec les citoyens, des travaux relatifs à l’humidité des habitations seront subsidiées etc…
La solidarité de bassin versant a permis la publication de plusieurs revues explicatives concernant la gestion de l’eau à Forest (disponibles sur demande) ainsi que d’actes de création du bassin versant solidaire.
Enfin, la confiance étant créée, j’ai pu instituer une coordination entre collectifs citoyens et promoteurs immobiliers de façon à ce que ces derniers intègrent dans leurs projets certaines suggestions de premiers en vue de créer de nouvelles rivières urbaines. Cela a un impact positif en termes d’agrément général. Cela réduit l’utilisation des réseaux d’égouts.
Enfin, l’approche de solidarité de bassin versant est une utopie concrète[1], une application de philosophie écologique puisqu’au lieu de « mâter la nature », et en particulier cette eau qui peut se faire ennemie, avec des moyens techniques, d’autres techniques sont mises en œuvre pour vivre avec la nature en ville, la promouvoir, la comprendre, l’appréhender. Il s’agit ni plus ni moins que de la fabrication de Communs, tangibles et intangibles
On pourra m’objecter que cette action locale ne va pas bouleverser les grands équilibres du monde. Ce n’est pas intégralement faux mais sa portée est cependant très générale. Outre l’apport de solutions concrètes aux problèmes liés à l’eau qui détruit, elle participe d’une logique qui dépasse le « vivre ensemble » pour atteindre le « faire ensemble ». Ce « faire ensemble » traverse la logique du bassin versant solidaire : il mobilise l’intelligence et les savoir-faire en vue du seul intérêt commun. Le « faire ensemble » du bassin versant solidaire re-crée de la société entre nous : « quelque chose à perdre » si nous n’en prenons pas soin.
Jean-Claude Englebert
[1] Une utopie au sens positif du terme : créer quelque chose qui n’est pas prévu par le cadre institutionnel ou symbolique ; concrète pour des raisons qui vont d’elles-mêmes