Par Stéphane ROBERTI, Président Ecolo du CPAS de Forest.
Le 8 juillet 1976, au terme de plusieurs années de débat, était promulguée la loi organique des Centres Publics d’Aide Sociale. Je tiens à saisir l’opportunité d’un anniversaire pour réaffirmer mon attachement aux principes de ce texte fondateur, profondément novateur. On a imaginé les CPAS comme un rouage dans un système daté ascension sociale, comme un épisode de solidarité le temps que chacun puisse trouver sa place dans la société. 40 ans de néolibéralisme insidieux plus tard, chaque terme de ce texte est devenu un enjeu de lutte.
Sur les bases des Commissions d’Assistance Publique, les CPAS se voient confier dès l’article premier la mission de garantir à toute personne le droit à mener une vie conforme à la dignité humaine. L’aide sociale s’est mue en 2002 en Action Sociale, et les récentes évolutions nous contraignent à mettre en place des pratiques d’activation, moins pudiquement, de contrôle des pauvres. En effet la conditionnalité, et récemment l’extension de la contractualisation de l’aide sociale, ont eu raison de l’universalité du droit à l’aide sociale. Aujourd’hui, pour bénéficier d’une aide sociale, il faut démontrer qu’on la mérite càd qu’on exécute correctement une chorégraphie prédéfinie d’activation. Il faut signer là, s’engager à, se former à, … sans être en capacité de négocier les termes du « contrat » (quel non sens !) et surtout sans revenu décent du travail à la clef, pas même précaire. C’est la fameuse généralisation du PIIS voulue par le Secrétaire d’Etat Willy Borsus (Projet individualisé d’Intégration Sociale), un dispositif déjà implémenté en 1993 par Madame Onkelinx et dont les effets prétendus n’ont jamais été mesurés.
Dans l’article 57 de la loi, on parlait de l’aide due par la collectivité. Le CPAS assure non seulement une aide palliative et curative mais aussi préventive. Il encourage la participation sociale des usagers. Dans le quotidien d’un CPAS, cette mission relève trop souvent de l’utopie. Parce que le temps est compté, parce que les formalités se sont complexifiées, parce que les démarches essentielles et administratives prennent le pas sur le travail social d’accompagnement, parce qu’un certain discours productiviste a imprégné toutes les fibres du tissu social, on renonce parfois à envisager, avec la personne aidée, la globalité de sa situation. C’est pourtant dommageable sur le long terme, par exemple dans l’accès aux soins de santé ; mieux vaut soigner un rhume, voire améliorer avec les habitants les qualités thermiques d’un logement que de devoir faire face à une pneumonie, bousculer une famille par une hospitalisation inopinée et courir le risque que cette situation se reproduise chaque hiver.
Un autre acquis de la loi organique est la professionnalisation du métier d’assistant social en CPAS. Et je le sais pour en être et avoir travaillé comme assistant social dans un CPAS, ce n’est pas un métier facile. On s’y engage pourtant le plus souvent avec l’utopie du droit à la dignité humaine en étendard. Le travail social, a fortiori global, avec la personne qui demande une aide nécessite impérativement l’installation d’une relation de confiance et de coopération, pour mettre en place des solutions, proposer des changements, surmonter une difficulté après l’autre et améliorer la situation. Cette relation d’aide et de confiance est mise à mal par un manque de temps évident (directement dû à un manque de corrélation des recrutements avec l’augmentation exponentielle de notre public et de ses besoins) mais aussi par la remise en cause du secret professionnel de l’assistant social en CPAS. Au nom de la fantasmagorique fraude sociale, la mutation du rôle de l’AS sous la casquette du contrôleur-délateur trahit une volonté idéologique de minimiser le travail social soit de dénaturer nos CPAS de leur mission originale et originelle.
Il est pourtant primordial et de l’intérêt de tous et de chacun, d’être doté d’un bel outil pour lutter contre les inégalités, pour vivre dans une société qui fait une place à tous, prévient et remédie à l’exclusion plutôt que de l’organiser et de consentir à la montée en puissance de la fabrique des pauvres. Pour tous ces enjeux de solidarité et de cohésion sociale, il nous faut plus que jamais défendre l’esprit émancipateur de la loi organique et l’institution publique de lutte contre la pauvreté dont la Belgique se dotait, il y a 40 déjà, 40 ans seulement.
Stéphane ROBERTI
Président Ecolo du CPAS de Forest